« Le montant des avoirs russes gelés en France s’élève à 1,2 milliard d’euros »

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La-Tribune Economique (avoirs russes gelés) – Traque des avoirs de milliardaires russes, blanchiment de capitaux, détournement des aides Covid, escroqueries sur le compte personnel de formation (CPF)… à la tête d’une équipe de 200 personnes, le patron du très discret service de renseignement à Bercy, Guillaume Valette-Valla, lève le voile sur les missions extrêmement délicates de Tracfin au cœur de la collecte de données et d’informations très sensibles sur les malversations.
GUILLAUME VALETTE-VALLA – En 2021, l’activité du service s’est maintenue à haut niveau. Cette activité s’illustre par la collecte de données, notamment les déclarations de soupçon des professionnels assujettis aux obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le nombre d’informations reçues par le service a augmenté de près de 50% entre 2020 et 2021. Le nombre de notes produites par Tracfin à destination de ses partenaires a augmenté de près de 10% en 2021.

Le panorama des partenaires de Tracfin est large, à l’image de l’étendue des missions du service. Nos notes s’adressent à l’autorité judicaire mais aussi aux administrations en charge de la lutte contre la fraude, aux cellules de renseignement financier étrangères et à nos partenaires de la communauté du renseignement. Nos trois missions prioritaires sont la lutte contre la criminalité économique et financière, la lutte contre la fraude aux finances publiques, le renseignement concourant à la stratégie de sécurité nationale et à la défense des intérêts fondamentaux de la nation.

Tracfin a été sollicité pour d’autres missions ces dernières années. Comment vos effectifs ont-ils évolué ?

Tracfin possède un effectif de 200 personnes, le nombre d’agents a augmenté de 65 % depuis 2017, le nombre d’informations reçues a été multiplié par deux sur la même période. Nous avons connu une très forte croissance ces dernières années. Certains événements comme la crise du Covid et les fraudes aux dispositifs de soutien à l’économie ou encore la guerre entre la Russie et l’Ukraine ont contribué à la sollicitation accrue de nos services.

Dans votre dernier rapport, vous pointez les multiples fraudes au compte personnel de formation (CPF). Comment se caractérisent-elles ?

Ces schémas de fraudes ont évolué avec le temps. Les fraudes au CPF étaient commises par de petits fraudeurs en 2020 et au début de l’année 2021. Il s’agissait alors de fraudes assez simples. Certaines sociétés se faisaient passer pour des organismes de formation alors qu’il s’agissait d’escroquerie. Nous avons également constaté beaucoup d’usurpations d’identité. Depuis la mi-2021, ce ne sont plus les mêmes types de fraude ni les mêmes types de fraudeurs.

Actuellement, les dossiers traités par nos services révèlent une complexité bien supérieure grâce à des sociétés-écrans qui se créent et disparaissent en très peu de temps après avoir reçu les fonds publics pour la formation. La coopération du service avec nos homologues étrangers est impérative pour suivre les flux financiers internationaux et est un gage d’efficacité du dispositif de lutte contre ces fraudes.

Depuis le début de la pandémie, de nombreuses aides ont été mises en place pour soutenir l’économie (chômage partiel, fonds de solidarité, prêts garantis par l’Etat). Quelle est l’ampleur des fraudes sur tous ces dispositifs ?

Tracfin ne peut pas connaître la totalité de l’ampleur de la fraude. Nous ne voyons qu’une partie de la fraude. L’estimation du montant global de la fraude correspond à un « chiffre noir ». C’est un chiffre que l’on ne peut pas vraiment calculé précisément. Il s’agit surtout d’une évaluation.

Contrairement à ce que l’on pouvait penser au début de la pandémie, la fraude aux dispositifs d’aides d’urgence a été limitée. Les différents travaux de la Cour des comptes ont montré que cette fraude a été circonscrite. Nous avons également constaté des fraudes plus classiques sur les certificats d’économie d’énergie. Ces fraudes s’appuient sur des réseaux plus structurés qui viennent sur ces dispositifs pour capter de façon illicite l’argent des contribuables. Il est très difficile d’avoir une quantification précise de la fraude. En revanche, ce que l’on peut dire est que plus un dispositif est simple d’accès, plus le fraudeur s’insérera facilement dans ce dispositif.

Quelles méthodes avez-vous utilisé pour les identifier ?

Sur les fraudes relatives aux mesures d’urgence, on a sensibilisé les professionnels déclarants de Tracfin comme les établissements bancaires, ou les professionnels du secteur non financier, à nous signaler des mouvements anormaux liés par exemple à la création et la fermeture d’entreprises fictives.

Au sein de l’Etat et des administrations publiques, une organisation s’est mise en place avec la DGFiP, l’ASP (Agence des services et de paiement) ou encore la Caisse des dépôts. Cette coopération a permis un échange rapide d’information entre administrations pour bloquer les versements d’aides aux organisations criminelles. Sur le CPF, plusieurs dossiers ont été envoyés à la justice ou sont en cours de jugement.

 Avez-vous identifié des fraudes dans le cadre du plan de relance ?

Oui, on a détecté des fraudes dans le cadre des prêts garantis par l’Etat par exemple. Ces actes ne seront qualifiables de fraude qu’à compter des dernières échéances de remboursement éligibles par les entreprises. Or, les échéances ne seront éligibles qu’en juin 2024.  Afin qu’un manquement soit qualifié de fraude, il faut que l’entreprise qui a bénéficié des PGE ne les rembourse pas. D’autres critères doivent également être pris en compte pour qualifier ces manquements de fraude.

En 2021, les Pandora Papers ont une nouvelle fois révélé les pratiques frauduleuses de dirigeants pour échapper à l’impôt. Malgré la multiplication des enquêtes internationales et la sophistication des méthodes d’investigation, la fraude fiscale est toujours bien présente. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Tracfin n’est pas forcément l’administration la mieux placée pour traiter ce phénomène contrairement à la DGFiP. Aujourd’hui, le phénomène perdure. Il y aura toujours une personne, une organisation malintentionnée qui voudra frauder la loi. La situation a tout de même extraordinairement changé au cours de la dernière décennie. Les outils de l’administration fiscale ont nettement évolué. Ce qui permet de mieux traiter les cas de fraude.

 Au plan international, les sujets tournent autour de l’optimisation fiscale et moins de la fraude fiscale. Les taux d’imposition de certaines entreprises étrangères dans la nouvelle économie interpellent souvent l’opinion. Il s’agit plus souvent d’optimisation fiscale que de fraude. Il y a beaucoup de confusion entre la fraude fiscale et l’optimisation fiscale au niveau juridique. Grâce au moyen d’enquête de Tracfin et son réseau d’homologues à l’étranger, il est possible d’obtenir des renseignements importants et de les transmettre à la justice. La fraude fiscale demeure un sujet d’intérêt pour Tracfin mais du point de vue de nos services, on ne peut pas dire que c’est un phénomène qui explose.

Après l’éclatement de la guerre en Ukraine, Bercy a annoncé le premier mars dernier la mise en place d’une task force rassemblant Tracfin, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et les douanes. Quel bilan tirez-vous de ces premiers mois d’action ? Quel est le montant des avoirs russes gelés ?

Le montant des avoirs gelés s’élève à environ 1,2 milliard d’euros, hors ceux de la banque centrale russe. Il s’agit d’avoirs financiers et non financiers. Ces gels se fondent sur un règlement européen qui établit une liste de personnes adopté par Bruxelles. Cette mission a beaucoup mobilisé les services de Bercy pendant le premier trimestre 2022.

La priorité était d’être capable de fournir des données à nos autorités politiques qui défendaient des propositions à Bruxelles basées sur des listes d’avoirs détenus en France.

En quoi consiste votre travail aujourd’hui ?

Aujourd’hui, notre travail consiste à vérifier qu’il n’y a pas de risque de contournement. Lorsque les avoirs sont gelés, on essaie de contrôler si les personnes n’essaient pas de contourner les mesures par le biais de relais familiaux, de proches ou de mécanisme d’optimisation fiscale.

Depuis le mois de mai, Tracfin est revenu sur une activité plus normale.  A partir des données collectées, on essaie de regarder si nous ne pouvons pas transmettre des dossiers à la justice dans le cadre de dossier sur le blanchiment d’avoirs illicites détenus en France, le blanchiment de biens mal acquis sur le fondement d’actes de corruption. Nous sommes moins dans la recherche du gel administratif mais nous contribuons à nourrir la justice. Elle doit être en mesure de saisir et confisquer judiciairement les biens illicitement détenus. Les personnes visées dans cette liste établie par l’Union européenne ne se voient pas privées de leurs biens.

Dans le droit français, elles ne peuvent l’être que sur la décision d’un juge. Il s’agit de caractériser des fraudes pénales. On essaie par exemple de regarder si le bien a été l’objet d’un crime ou d’un délit punissable en France, notamment s’il s’agit de fraude fiscale ou si la propriété d’un oligarque russe a été l’objet d’un recel ou d’un trafic international.

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